J'ouvre un œil, le temps de faire une mise au point et je découvre le large sourire de Mahault, habillée de pied en cap, prête pour de nouvelles aventures!


Virée dans les Balkans
Nous sortons de la chambre sur la pointe des pieds, un doigt sur la bouche et descendons prendre notre premier café bulgare. Nous sommes à Sofia, il est tôt, la température est idéale. Tandis que Mahault sirote son chocolat au lait je revis nos quelques semaines de vadrouille dans les Balkans.

En débarquant à Vlora, en Albanie, la vision de cette charrette attelée dédiée au ramassage des ordures de la ville nous a clairement signifié que nous basculions dans un autre monde, une autre Europe... Des heures plus tard, traversant les campagnes, contournant ses cols à bord de minibus quinquagénaires, le pays des aigles se révèle fragile, chaotique et inégal, les cabanes de bric et de brac côtoient les "châteaux" de la diaspora, des villes et villages sans charme, des bijoux rescapés du temps sous le regard altier de l'oiseau bicéphale.

Première étape, Berat. Le charme opère. De ravissantes maisons blanches accrochées à la colline où domine la citadelle. Une soirée à danser avec les vieux où Mahault passe de bras en bras.

Puis Schkroda, la frontière du Monténégro se ressent et l'argent avec. La ville a sa rue de la soif où les enseignes braillent à qui mieux mieux une improbable sélection musicale à grand renfort d'écrans plats aux rez-de-chaussée de constructions bourgeoises XIXe. La ville accueille les backpackers, propose ses circuits montagnards. Les touristes sont là, le business avec.

Nous préférons rejoindre la mission conseillée dans les Pouilles par le sage Cosimo. Après quelques heures à bord de notre désormais incontournable minibus, nous arrivons "là où la route s'arrête". C'est dans une petite église construite à la chute du communisme par une mission italienne que le père Giusepe nous offre l'hospitalité, un regard sur l'Albanie et ses montagnes, refuge des dissidents de tous poils.
Aujourd'hui, l'église est entourée de masures abandonnées. Leurs occupants sont descendus depuis longtemps chercher "fortune" en ville, loin de ces rudes montagnes inaccessibles la moitié de l'année.
Les pères restent pour les enfants des irréductibles, des oubliés. Une soixantaine de 4 à 23 ans à qui ils dispensent des cours d'anglais, d'italien et d'albanais les mois les plus cléments.
Dans le bus, un franciscain me parle de sa lecture des Pensées de Pascal. Étonnante conversation face à cet immensément grand qui nous entoure. Étrange rencontre dans ce pays où les minarets se dressent par centaines tels des crayons dans le ciel. Les ottomans ont bien bossé, 500 ans d'occupation.

Un interminable voyage nous mène au Kosovo, jeune "pays" qui fête cette année son âge de raison! Le drapeau du pays des aigles y flotte côte à côte avec le Kosovar. À Prizen on parle albanais, turc, serbe même si comme nous l'explique le taxi driver avec un certain cynisme, il n'en reste pas beaucoup.... et puis les langues de la diaspora. Étrange pays qui n'en est pas un, sans langue, avec une histoire serbe et une monnaie empruntée. Dans les rues de Prizen, les modes européennes défilent, surtout la suisse qui accueille la majorité des ces exilés économiques.
2 millions d'habitants pour cet état pris en sandwich entre la Serbie et l'Alabanie, la jeunesse Kosovar oublie son avenir incertain en se noyant dans les bulles de son soda, lovée dans ces lounge bars qui fleurissent à chaque coin de rue.

Nous quittons cette résidence secondaire des Balkans pour Skopje, capitale de la Macédoine. Bienvenu au Disneyland du pouvoir! Skopje est un décor, une ville carton pâte où les symboles architecturaux du pouvoir sont copiés. Une maison blanche, une cathédrale, un Arc de Triomphe, des galions de béton sur le fleuve et quelque mille sculptures de bronze. Bref un projet sorti tout droit du cerveau malade d'un mégalo plus soucieux de laisser sa trace dans l'histoire, sans peur du ridicule, que de songer à nourrir son peuple.

Harry, entre 65 et 75 ans, à travaillé à Paris comme soudeur. Il n'est pas macédonien mais yougoslave et regrette le " bon" Tito qui pourvoyait à tout et punissait la délinquance... "Tu vois le mec làs-bas? C'est un ancien officier yougoslave. Aujourd'hui regarde-le c'est Quasimodo! Où est passé son panache? Et l'autre là-bas, mort saoul en train de dormir sur son chien! C'est Stanko un champion de foot, il avait une grande maison! Et maintenant..." Cette nostalgie, ils sont nombreux à nous en faire part, de l'ouvrier au médecin, écœurés par la corruption qui mine leur pays. Ils sont également nombreux à étaler sans complexe leur xénophobie. Étonnant pour ce peuple aux ethnies aussi mixées que la fameuse salade. Les Roms comme partout sont une des cibles privilégiée. Il faut dire que depuis le tremblement de terre de 63, ils se sont installés à Sutka, aux portes de Skopje, au point devenir une ville de 50 000 habitants. Une terre promise des Roms en quelque sorte. Chaque jour des dizaines de mariages y sont célébrés au son des cuivres devant des habitations qui vont du simple taudis au palais. Pour nous, Sutka sera une véritable bouffée d'oxygène, un peu d'authenticité chez le Mickey des Blakans!

Je recommande un café, Mahault dessine des lettres.

Nous avons traversé quatre pays..., les drapeaux, les hymnes, les alphabets, les langues, les monnaies changent mais les hommes, leur histoire et leur culture sont identiques, intimement liés. Les différentes occupations, les guerres, les déplacements, les purges, les exils, la kanun, la corruption ont éreinté ces peuples, le peuple des gueules cassées, des abîmés de l'histoire.