Franchir une frontière à pied c’est comme être chaussé de bottes de sept lieux, être coupé en deux, les langues se mélangent, les hommes mutent : les yeux deviennent bleus, les cheveux clairs, les visage poupons les ventres rebondis, les teints diaphanes… le contraste est saisissant, enivrant, à chaque nouveaux pas nos sens s’éveillent.


Mon apéro avec Staline
Si les turcs utilisent leurs véhicules comme des tapis volants, les Géorgiens sur des routent cabossées inventent des voies, avec leurs yeux plissés, ils ont le don de percevoir à travers la montagne pour doubler dans les virages sans vergogne et vous offrir une rangée de dents brunâtres, hilares « t'as vu! c’est passé », au vingtième coup de feu mes yeux se ferment, j’ai épuisé tous les cantiques de mon répertoire, et laisse les puissantes cordes vocales de Lara Fabian me bercer dans un rêve éveillé et songe à m’équiper d’un véhicule.

Au volant de mon 4X4 Mitsubishi, je slalome avec aisance entre les vaches endormies sur les routes, évite de justesse les cochons noirs et vifs et klaxonne à tout va pour signaler mon auguste présence à une moyenne de 30 klm/h !

Partis de Koutaïssi pour aller a la rencontre des habitants nous échouons à Baghdati petit bourg décati où nous accueille le joyeux Gazio, vigneron. Il nous loge dans sa maison typique des Imeretians, un bâti ancien en briques cintré d’une belle terrasse aux balustrades sculptées en bois. Nous allons cueillir des tomates, des cébettes, persil, basilic thaï et concombre dans le jardin, il dresse une tablée sous une ombrière à côté d’une charmante baraque en bois où officie sa mère.

Ce repas dans son plus simple exercice, ni huile d’olive ni sel ni poivre est accompagné d’un pain au fromage que vous contera Maxime et d’un vin rouge du cépage Tsolikauri à la robe pourpre et l’envolée lyrique. Mahault a durant ces deux journées fait la joie de nos vieux hôtes qui l’auraient bien kidnappée.

A Gogni, village parcouru par des routes de terre et de silex, aux maisons de bois aux couleurs passées et d’immeubles soviétiques bien plus mal en point, nous demandons notre chemin avec grande difficulté pour trouver la ferme de Boria. L’office de tourisme local que nous avons eu au téléphone nous a conseillé d’aller frapper à sa porte car « la haut, il n’y a pas de réseau ».

Le 4X4 gravit avec peine les chemins après une heure d’errance, je suis sur le point d’abandonner, quand Anne trouve une dame qui demande à une autre qui appelle un papy qu’elle réveille de sa sieste. Ils gesticulent et crient car pas un ne pipe mot de ce que l‘on dit.

Finalement le papy décide de nous accompagner pour 1O km de montagne dans des chemins pour tracteur ou char à bœuf complétement défoncés sur une pente à 50°. Je roule comme un Géorgien, invente des trajectoires, surfe sur l’herbe en pleine montée d’adrénaline, les jambes flageolantes, la gomme fume, le moteur aussi, toute la carlingue semble vouloir se disloquer. Arrivé en haut du mont Khekpilu, j’exulte mais refuse obstinément de ramener le papy, il n'a qu’à prendre un cheval !

Boria est le propriétaire d’une ferme de 20 hectares isolée, perchée sur un promontoire à 2000 mètres avec une vue rare. Quatre bâtisses en bois sont protégées par des barrières qui semblent avoir été construites par des enfants. Nous logeons dans la datcha flanquée de deux lits militaires avec un plafond bas noirci par la suie, un poêle et une table de guingois. Des hommes s’affairent à réparer le toit de la maison d’hiver, Nina, vieille femme russe, aux dents éparses mais au regard doux nous serre un Raki pour me remettre de mes émotions.

A 17 h c’est l’apéro, je suis convié avec les hommes à grimper dans une cabane suspendue dans les airs ouvertes sur le toit du monde pour devenir un homme. Boria, le visage coupé à la serpe, les yeux bleu pale préside la cérémonie, il choisit un officier qui dispatche le vin contenu dans un bidon de 10 litres d’essence ! Nina se fait hurler dessus, le tout ponctué de slaves de rires gras, et nous sert des salades, haricots et poulet froid.

Les verres défilent, chacun porte un toast avec un discours sérieux suivi d’engueulades heureuses, Boria le couteau à la main, les yeux exorbités injectés de sang, le poing serré, les muscles tendus, me demande si j’aime Staline en me montrant un portait qui trône dans la cabane. Je lève mon verre et crie vive Staline, cul sec. Puis Loris, l’officier remplit de vin des cornes de bouc et chacun son tour on trinque bras dessous bras dessus. Boria m’embrasse sur la bouche… Vive Staline. Le bidon est au trois quart vide, il est 19 h, fin d’un spectacle surréaliste, le soleil se couche.

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline

Mon apéro avec Staline